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De la composition des larmes
29 Octobre 1977 « Les désirs que j’ai eus avant sa mort (pendant sa maladie) ne peuvent plus maintenant s’accomplir, car cela signifierait que c’est sa mort qui me permet de les accomplir -que sa mort pourrait être en un sens libératrice à l’égard de mes désirs (…) Il faut attendre -à supposer que cela se produise- qu’un désir nouveau se forme , un désir d’après sa mort. » (page 28 du « Journal de Deuil ») Je ne sais pas au juste ce qui peut être compris instantanément à la lecture de cette citation , si il est aisé ou pas d’en percevoir l’extrême justesse. Ce qui est certain c’est que Barthes n’a pas écrit ce journal pour nous mais pour lui seul ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons ni le droit ni la compétence pour le lire. Il me semble que c’est exactement le contraire. La tempête médiatique dans le verre d’eau de l’édition lors de la parution du livre (fallait-il ou non publier ?) est bien française et n’intéresse que les théologiens et ceux qui n’ont rien à dire sur le texte. Proust n’a jamais publié « Jean Santeuil » mais il ne l’a pas non plus brûlé. Rien n’est plus simple pour un écrivain que de supprimer ce qu’il considère comme superflu c’est même la nature de son travail : Platon l’a fait avec ses poèmes , Varèse avec ses partitions de jeunesse. Ce journal existe et par principe il appartient à celui qui a envie de le lire. Seulement bien sûr ici il ne s’agit pas du canevas d’un projet littéraire mais du compte rendu bien réel d’un deuil qu’un homme établit pour lui même. Moment étrange du deuil que la société accorde pour un temps nécessairement très limité. On tolère votre détresse , on vous incite même à la montrer mais pas trop longtemps. Vous pouvez à l’envi revêtir la bure et présenter la face de carême que vos amis attendent de vous. Vos amis , vos proches le tolèrent certains même avec l’engouement suspect de ceux qui croient partager une émotion forte trop contents d’assister à un film dont il n’ont pas à payer l’entrée. De cela en un sens Barthes ne dit mot.Le point de départ n’est pas celui de « L’Etranger » (« Aujourd’hui maman est morte… »).Il n’y a pas cet ennui que l’on retrouve chez le patron du personnage de Camus qui se voit contraint d’accorder un jour de congé pour que son employé puisse enterrer sa mère. Il n’y a pas le poids de cet embarras hypocrite. Le point de départ de Barthes est bien plus intime donc plus obscur et en conséquence , plus rétif à l’expression : 26 Octobre 1977 « Première nuit de noces. Mais première nuit de deuil ? » (page 13) ça n’a l’air de rien en effet , une page entière pour jeter dix mots qui ressemblent à une mauvaise plaisanterie. J’ai pourtant la naïveté de croire que Barthes cerne précisément ce qu’est la perte de la mère pour un fils et que cet ensemble déconcertant de notes a une dimension universelle non négligeable. Se réjouir de la mort de la mère , s’en réjouir de façon étrange avant de prendre conscience instantanément que cette mort est la fin de toute chose. Le deuil n’a rien à voir avec les larmes il n’est qu’un mode particulier de la temporalité et à ce titre , un égoïsme de plus. On ne pleure pas le défunt on prend simplement acte qu’on est le prochain sur la liste , que la partie d’échecs contre la Faucheuse sera de toute façon perdue. Comme dans le film de Bergman on continue pourtant à jouer , on développe de subtiles stratégies mais pour la première fois de sa vie on a compris. Chez Barthes la partie d’échecs c’est son raisonnement alors évidemment l’ordonnance est confuse , énigmatique mais comme peut l’être une écriture dont le but est thérapeutique. Il n’écrit pas pour nous mais à nouveau cela ne signifie pas que le texte nous soit incompréhensible. L’écriture comme seul salut à la manière d’un Fritz Zorn dans sa tentative de rationaliser son cancer. Zorn construit son texte (« Mars », éd Gall) pour établir de façon quasi scientifique qu’il était normal qu’il développât cette maladie de par son milieu , sa tradition familiale et ses propres renoncements. Mettre au jour une existence dérisoire (réelle ou inventée)pour mieux en expliquer sa conséquence : j’ai été lâche toute ma vie , le cancer en est la conséquence logique…Rationaliser, remonter à la cause , qu’elle soit chimérique ou même délirante n’a aucune importance, c’est toujours une cause à laquelle on peut se rattacher. 2 Novembre 1977 « L’étonnant de ces notes , c’est un sujet dévasté en proie à la présence d’esprit » (page 40) A partir du 29 Novembre l’écriture de Barthes se modifie , le style devient plus télégraphique pendant plusieurs jours , les notes vont ressembler de plus en plus à la préparation d’un cours de philo avec ses abréviations , ses flèches de renvoi et ses références à développer : se mettre à distance par son propre raisonnement, croire qu’on peut encore tout contrôler, s’extraire du problème en se tenant à distance dans la posture du maître d’école comme si ça permettait de moins souffrir. Texte déconcertant, c’est bien possible. Un instant de « noces » pour une vie de « deuil » , il me semble que c’est de tout cela dont parle Barthes. Ceux qui se sentent concernés par ce texte le liront avec profit. Ce livre est leur propriété.