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Carnet de lecture

Examen à la porte du ventre – Ted Hughes

Ted Hughes (1930 – 1998) est un poète anglais assez mal connu en France. Bien qu’ayant jouit d’une certaine renommée de son vivant -il a été le poète officiel de la Reine- le suicide de Sylvia Plath, avec qui il fût marié, suscita questions, scandales et un véritable ostracisme envers son œuvre, notamment de la part des féministes pour qui Hughes ne pouvait être qu’un mari jaloux du talent de sa femme. Il publiera Birthday Letters peu de temps avant sa mort, recueil de poèmes dans lequel il expose cette relation complexe.
La poésie de Hughes est assez particulière dans le sens où il considère que le poète est un chaman qui transmet les messages de l’autre-monde. Il est intéressant de souligner que le corbeau possède, comme de nombreux animaux, la fonction de psychopompe, c’est-à-dire de guide de l’âme à travers le monde des morts. Il possède aussi la fonction de messager et de prophète, comme on le retrouve dans de nombreuses légendes celtes et nordiques, à travers les corbeaux de la Morrigane ou les corbeaux du dieu Odin, nommés Pensée (Hugin) et Mémoire (Munin). Cet aspect chamanique se retrouve également dans le titre du poème,
womb signifiant utérus en anglais, indiquant ici un retour à l’utérus de la Terre-Mère, à ses entrailles, le commencement et la fin comme un ourobouros plutôt que l’image de la mort comme une fin abrupte et/ou un réel changement d’état.

Qui possède ces petits pieds décharnés ? La mort.
Qui possède ce visage hérissé, comme brûlé ? La mort.
Qui possède ces poumons qui fonctionnent encore ? La mort.
Qui possède ce manteau de muscle utilitaire ? La mort.
Qui possède ces tripes inqualifiables ? La mort.
Qui possède ce cerveau douteux ? La mort.
Tout ce sang malpropre ? La mort.
Ces yeux si peu efficaces ? La mort.
Cette méchante petite langue ? La mort.
Cette insomnie intermittente ? La mort.

Donné, volé, ou réservé en attendant le jugement ?
Réservé.

Qui possède toute la terre pierreuse, pluvieuse ? La mort.
Qui possède tout l’espace ? La mort.

Qui est plus fort que l’espoir ? La mort.
Qui est plus fort que la volonté ? La mort.
Plus fort que l’amour ? La mort.
Plus fort que la vie ? La mort.

Mais qui est plus fort que la mort ?
Moi, évidemment.
Admis, Corbeau.

*****

Examination at the womb-door

Who owns these scrawny little feet ? Death.
Who owns this bristly scortched-looking face ? Death.
Who owns these still-working lungd ? Death.
Who owns this utility coat of muscles ? Death.
Who owns these unspeakable guts ? Death.
Who owns these questionable brains ? Death.
All this messy blood ? Death.
These minimum-efficiency eyes ? Death.
This wicked little tongue ? Death.
This occasional wakefulness ? Death.

Given, stolen, or held pending trial ?
Held.

Who owns the whole rainy, stony earth ? Death.
Who owns all of space ? Death.

Who is stronger than hope ? Death.
Who is stronger than the will ? Death
Stronger than love ? Death.
Stronger than life ? Death.

But who is stronger than death ?
Me, evidently.
Pass, Crow.

Anthologie billingue de la poésie anglaise, Gallimard, Pléiade, 2005. Traduction du poème par Claude Guillot.

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