Le Livraire

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A quoi sert l’écriture ?

Extrait du Magazine Littéraire n°482 – Janvier 2009 – Barthes refait signe

Réponse de Barthes en 1969 pour le quotidien italien Il Corriere della Serra à la question  « À quoi sert l’écriture ? »

Je puis seulement énumérer les raisons pour lesquelles j’imagine écrire :

1 – pour un besoin de plaisir qui, on le sait bien, n’est pas sans rapport avec l’enchantement érotique ;

2 – parce que l’écriture décentre la parole, l’individu, la personne, accomplit un travail dont l’origine est indiscernable ;

3 – pour mettre en oeuvre un « don », satisfaire une activité distinctive, opérer une différence ;

4 – pour être reconnu, gratifié, aimé, contesté, constaté ;

5 – pour remplir des tâches idéologiques ou contre-idéologiques ;

6 – pour obéir aux injonctions d’une idéologie secrète, d’une distribution combattante, d’une évaluation permanente ;

7 – pour satisfaire ses amis, irriter ses ennemis ;

8 – pour contribuer à fissurer le système symbolique de notre société ;

9 – pour produire des sens nouveaux, c’est-à-dire des forces nouvelles, s’emparer des choses d’une façon nouvelle, ébranler et changer la subjugation des sens ;

10 – enfin, […] pour accréditer ainsi la valeur supérieure d’une activité pluraliste, sans causalité, finalité ni généralité, comme l’est le texte pour lui-même.

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La Chambre solitaire – Kyong-suk Shin

ISBN : 978-2809700626
Traduit du coréen par Jeong-eun Jin et Jacques Battilliot

chambre_solitairePrésentation de l’éditeur :
Dans ce roman d’une beauté poignante, Shin Kyong-suk met au jour un passé resté douloureusement enfoui dans sa mémoire. C’est l’été, elle a seize ans et quitte sa campagne pour Séoul. Le seul moyen pour elle d’accéder au lycée est de devenir ouvrière dans une usine et d’être choisie parmi les plus méritantes pour suivre des cours du soir. De seize à dix-neuf ans, elle va connaître les privations, le travail éreintant, la solitude pareille à une pluie froide, puisant chaque jour en elle-même une force renouvelée pour vivre jusqu’au lendemain. Et c’est là, dans cette étroite chambre parmi les trente-sept de la maison labyrinthique qui abrite les employés d’usine, que va jaillir en elle le désir, la promesse incroyable de devenir écrivain. Pour conserver quelque chose de pur au, fond de moi.

Kyong-suk Shin est née en 1963 en Corée du Sud et commence à publier en 1985.  Très populaire dans son pays, La Chambre solitaire est son premier roman traduit en français.

Mon avis :
Récit à la voix double, dans lequel Kyong-suk Shin se raconte, partagée entre l’adolescente qu’elle était alors, et l’écrivain qu’elle est devenue. A mi-chemin entre la fiction et l’autobiographie, c’est le quotidien de la Corée des années 70, du travail éreintant à l’usine, de la petite chambre qu’elle partage avec son frère et sa cousine, du lycée, de l’étrange amitié qu’elle noue avec Hijae et du destin tragique de cette dernière.
La Corée est un pays beaucoup moins connu que la Chine ou le Japon, que ce soit sur le plan culinaire, culturel, linguistique ou même politique. La Chambre solitaire est un roman très intéressant et agréable de ce point de vue là, en plus de l’introspection fine et pleine de sensibilité que nous livre l’auteur. Mot après mot, ce sont toutes les difficultés, les luttes, les attentes, les souvenirs des lieux et des personnages qui ressurgissent avec le récit de ces années passées et la douleur que cela provoque.
Kyong-suk Shin signe un roman très dense, prenant, avec quelques longueurs par moment. Le contexte politique et social occupe une place importante dans le récit ce qui rend parfois la lecture un peu fastidieuse, même si les notes des traducteurs aident à restituer le contexte.

Extrait :

J’ai l’impression que ce texte est finalement devenu quelque chose entre chronique de faits réels et fiction. Mais peut-on appeler cela de la littérature ? Je réfléchis à l’écriture. Je me demande ce qu’est l’écriture.

Lire un autre extrait ici.

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L’écriture est un regard sur le passé

A moins qu’on décide d’écrire un roman d’anticipation, de science-fiction, l’écriture est un regard sur le passé. Au moins en littérature, tous les souvenirs précedant l’instant présent ne font-ils pas l’objet d’une réflexion ? Ne s’agit-il pas de mettre au jour un hier qui ruisselle dans l’aujourd’hui ? Pour savoir pourquoi je suis ici et maintenant, pour savoir ce que j’ai l’intention de faire ici et maintenant. Aujourd’hui va devenir hier pour couler dans demain. C’est ainsi que la littérature échappe au tarissement. C’est à l’histoire de classer et c’est à la société de définir. Plus on classe, plus se dissimule sous une apparence ordonnée une vérité qui vit au-delà de toute définition. La littérature surgit de la face cachée des classifications et des exégèses. De tout ce qui n’a pas été résolu. Elle permet, me dis-je, de libérer les choses des classements et des définitions et de les faire apparaître autrement, de manière à venir en aide aux pauvres gens qu’elles dissimulaient, à ceux qui vacillent. Il s’agirait donc de réintroduire un désordre. Même si cela revient à classer d’une autre façon. Devrais-je à présent retourner mes propos pour voir leur face cachée ?

Extrait de La Chambre solitaire, Kyong-suk Shin, traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot

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J’y suis presque – Nuala O’Faolain

Le parcours inachevé d’une femme de Dublin
Traduit de l’anglais par Stéphane Camille
ISBN : 978-2848050317
Sabine Wespieser

presqueRésumé (présentation de l’éditeur):
« Je ne savais pas que je m’embarquais pour un voyage quand j’ai écrit les premiers mots de On s’est déjà vu quelque part ?, et je ne pensais pas que des eaux calmes m’attendaient peut-être, moi aussi. Mais je comprends qu’un mouvement a commencé à ce moment-là qui ne sera pas terminé avant que je connaisse la sérénité. […] Je me dis parfois que j’y arrive, que j’y suis presque. » Le succès inattendu de son premier récit a changé la vie de Nuala O’Faolain : d’éditorialiste solitaire, les pieds solidement ancrés dans la terre irlandaise, elle est devenue une écrivain reconnue, vivant une partie de l’année aux États-Unis. Avec ce deuxième livre de Mémoires, l’auteur tente de mettre de l’ordre dans le chaos de sa nouvelle vie : elle évoque, avec la lucidité qui la caractérise, les effets – ou les méfaits – du succès, nous entraîne dans les coulisses de Chimères, son magistral roman, s’interroge sur l’avenir de sa relation avec son nouveau compagnon et sur sa faculté à s’adapter au  » Nouveau Monde « . Car rien n’est gagné, et si elle y est presque, ce n’est pas sans souffrances : c’est sans doute au fantôme de sa mère, morte dans la misère sans avoir pu échapper à ses démons, qu’elle doit la sourde nostalgie de sa vie passée. Nuala O’Faolain écrit un livre intelligent, drôle, féroce, émouvant, honnête et généreux sur la période de la vie qu’elle traverse :  » La cinquantaine, c’est l’adolescence qui revient de l’autre côté de la vie adulte – le serre-livres correspondant – avec ses troubles de l’identité, ses mauvaises surprises physiques et la force qu’il faut pour s’en accommoder.  » Et si, à ses lecteurs fidèles, elle donne le sentiment de retrouver une vieille amie, à qui le succès n’est pas monté à la tête, chemin faisant, elle construit une œuvre littéraire remarquable qui s’ancre au cœur d’une réflexion très contemporaine sur le rapport à la fiction : J’y suis presque est avant tout le roman d’une vie, la sienne, mais aussi un miroir pour beaucoup d’autres.

Mon avis :
J’ai découvert Nuala O’Faolain avec la lecture de On s’est déjà vu quelque part et j’avais aimé le ton très libre et lucide qu’elle emploie pour nous décrire sa vie, ses erreurs, ses doutes, sa souffrance et ses interrogations. J’y suis presque, écrit plusieurs années après On s’est déjà vu quelque part, constitue la seconde partie de ses mémoires. Le ton employé est toujours d’une extrême franchise, que les événements racontés soient ou non flatteur pour la narratrice. On sent cependant (aucune critique dans l’utilisation de « cependant », ce n’est qu’un simple constat) que les souvenirs qu’elle évoque dans cet ouvrage sont plus récent, qu’il y a moins de distance par rapport aux événements. Il n’y a pas encore de réel recul entre l’auteur et le récit de sa vie, mais encore une fois, cette proximité est consciente, de même qu’est analysée la question du recul que le temps apporte par rapport à certains épisodes douloureux, difficile, cette question au final relative, puisqu’elle avoue que, si pour elle les choses s’étaient produites comme elle l’avait décrit, elle s’était rendue compte, en se confrontant aux réactions de gens qui s’étaient reconnu, que ces gens avaient, finalement, un tout autre souvenir, un tout autre regard sur tel ou tel événement, sans que l’on puisse dire pour autant que ces personnes mentaient, pas plus qu’elle ne mentait.
J’ai eu l’occasion de lire un certain nombre de mémoires, écrites par des gens très différents, qui avaient vécu des vies on ne plus différentes. Mais je ne me souviens pas en avoir lu où la question de la véracité des souvenirs se pose de manière aussi direct, en étant confronté à la vision des autres protagonistes. Indépendamment de tout, j’admire l’honnêté avec lequel ces épisodes sont évoqués. Il n’est pas facile de raconter ses souvenirs, mais il est encore moins facile de reconnaître que, peut-être, nous nous sommes trompés, de faire la lumière sur certains doutes qui nous assaillent.
La question de la fiction, du rapport qu’entretient un écrivain avec sa matière, la relation à trois qui se construit entre l’écrivain, le(s) personnage(s) et les souvenirs personnels, triangulation souvent imprévisible, mouvante, tendue, est posée, sans théorie littéraire écrasante et toute puissante, mais de manière individuelle, personnelle, et au final subjective. C’est cette subjectivité que je trouve intéressante, la relation entre l’individu et la fiction abordée de manière personnelle et directe, et non distillée à travers des théories littéraires.

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Papa-Longues-Jambes – Jean Webster

Paru en 1915
Environ 170 pages (édition Folio Junior)

Résumé :
Au début du XXe siècle, aux États-Unis, Jerusha Abbott ne connaît, à dix-sept ans que les murs du Foyer John Grier où elle a toujours vécu. Un soir, Mrs Lipett, la directrice du foyer lui apprend qu’un donateur lui offre quatre années d’études supérieures, à deux conditions : elle doit lui écrire une lettre par mois, et elle ne doit jamais chercher à savoir qui il est. N’ayant aperçu de ce monsieur que son ombre, elle le surnomme affectueusement Papa-Longues-Jambes et lui écrit très souvent. Mais qui se cache derrière Papa-Longues-Jambes ? Et pourquoi a t-il voulu envoyer Jerusha à l’université ?

* * *

Dix ans d’attente pour ces quelques heures de lecture ! J’ai découvert Papa-Longues-Jambes en 6e, en lisant un Je Bouquine, la fameuse section « un roman en BD », qui présente les premiers chapitres d’œuvres majeures, tant pour la jeunesse que pour les plus vieux. (j’ai découvert Vipère au Poing de cette manière, ainsi que L’histoire d’Helen Keller). J’avais trouvé la trame tout à fait intéressante, et j’avais aussitôt eu envie de le lire, mais le CDI de mon collège ne l’avait pas. Une chose en entraîne une autre, à chaque fois que j’y pensais, je me disais « il faut absolument que je le lise », mais jamais quand j’étais à proximité d’une librairie ou d’une bibliothèque.

Et puis ca m’est revenu, brusquement. Un saut à la bibliothèque plus tard, une part de cheesecake dans une main, une tasse de thé à portée de l’autre, je me suis plongée dans ma lecture.
J’aurais dû le lire beaucoup plus tôt, il m’a vraiment enchanté. Le récit est simple, claire, bien écrit, le vocabulaire et les phrases sont riches sans être étouffantes et sans ralentir la lecture. Elles enrichissent la lecture en douceur. Le style épistolaire est superbement maîtrisé, amusant, léger mais non sans réflexion. Les thèmes abordés traversent les époques : les préoccupations, les joies et les soucis d’une jeune fille qui découvre le monde, bien que le personnage de Jerusha ait presque un siècle.
La fin est un peu attendue, mais la chute est très joliment ficelée, tout en finesse. Le personnage de Jerusha évolue avec les années, sa relation avec les autres et le contenu de ses lettres aussi. Bref, j’ai adoré. C’est à lire et à offrir, pour les jeunes filles comme pour les moins jeunes.

Il n’est pas sans m’évoquer Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott (que j’ai dans ma bibliothèque sous le titre Petites Bonnes Femmes, édition Rouge & Or de 1955)