Le Livraire

Carnet de lecture

Archives de Tag: I like it

Tandis que j’agonise – William Faulkner

Titre original : As I Lay Dying
Traduction de Maurice Edgar Coindreau

Tandis que j’agonise est le cinquième roman de Faulkner. Publié en 1930, il n’a été traduit en français qu’en 1934. Il aurait dû être le premier des romans de Faulkner à paraître en France, mais Sanctuaire parut finalement quelques mois avant, en novembre 1933.

* * *

Addie Bundren vient de mourir. Auparavant, elle a fait promettre à son mari, Anse, d’être enterrée à Jefferson avec les siens. Anse et leurs enfants, Cash, Darl, Jewel, Dewey Dell et Vardaman feront donc le trajet jusqu’à la ville, située à quarante miles (environ soixante-cinq kilomètres) de là.

Toute l’essence de l’histoire semble être contenue dans ces quelques lignes, et pourtant, ce résumé simple passe sous silence ce qui fait de Tandis que j’agonise un superbe roman, à la fois macabre et plein de vie, chanté par des voix inoubliables. L’histoire comporte quinze narrateurs, et ce sont le fil de leurs voix qui s’entremêlent, nous racontant l’histoire.

Se sachant mourante, Addie a demandé à Cash, son premier fils, charpentier, de construire son cercueil sous ses yeux. Elle meurt avant qu’il ait pu le terminer. Le roman commence avec la voix de Darl racontant son retour à la ferme avec Jewel, et les premiers bruits qu’ils entendent sont la scie et l’erminette de Cash. Ces sons rythment tout le début de la narration : Addie est morte, le cercueil n’est pas terminé, la famille tente d’encaisser le choc causé par la mort de la mère et n’arrive pas réellement à se décider à partir pour Jefferson.

Il faut plusieurs jours de voyage pour parvenir à destination, et des crues ont emportées les ponts. Le temps presse pourtant, le corps de la défunte n’a pas été embaumé, et après les bruits des outils de Cash contre le bois du cercueil, ce sont les busards dans le ciel et la décomposition du corps qui font office de métronomes.
Les obstacles se multiplient. Dans leur tentative de traversée, Cash se casse la jambe. Les mules se noient. Le père ne pense qu’au dentier qu’il désire s’acheter. Dewey Dell est enceinte et cherche à se faire avorter. Vardaman, le dernier-né, a pêché un poisson au moment de la mort de sa mère, dans son esprit, le poisson et la mère se confondent. Jewel n’est pas le fils d’Anse, mais issu d’une relation adultérine. Darl est considéré comme un simple d’esprit, un fou inquiétant ; avant la fin du récit, il sera interné. Pendant ce temps, le corps d’Addie continue de pourrir, et l’odeur est devenue insoutenable.

Aux voix d’Anse, Cash, Darl, Dewey Dell, Jewel et Vardaman, viennent s’ajouter, entre autres celles du docteur, du voisin et de sa femme, du révérend et même d’Addie Bundren, magnifique, brûlant de tristesse lucide.

L’édition Folio comporte, sur la quatrième de couverture, un commentaire de John Brown tiré du Panorama de la littérature contemporaine aux Etats-Unis.

« Une farce très haute en couleur, à la flamande. »

Appellation qui peut sembler déroutante au premier abord. On a du mal à faire le lien entre la mort d’une mère, le chemin de sa dépouille vers sa dernière demeure et une farce flamande. Pourtant, au fil de la lecture, cette appellation perd de son étrangeté pour devenir un parfait résumé de Tandis que j’agonise. Si leurs douleurs, le déchirement et le sentiment de conscience intérieur des personnages sont complexes, ils restent intériorisés et l’action proprement dite tient plus du burlesque, de la farce. Les détails de vie quotidienne, les préoccupations terre-à-terre des personnages (Dewey Dell qui se demande si elle va arriver à vendre ses gâteaux) mais aussi leurs manières de s’exprimer qui fluctue entre une langue familière à la syntaxe très libre (le lire en anglais doit être une expérience aussi passionnante que redoutable) et le registre plus biblique, plus épique même d’un conteur qui modifie imperceptiblement les accents de sa voix pour mieux souligner toutes les subtilités, toute la richesse de son histoire.

Ce n’est pas un roman triste, mais c’est un roman poignant qui tient en haleine, tant on reste sans voix devant cette partition magistralement écrite, devant ces accords faussement dissonant que l’on écoute à plusieurs niveaux, dépassant largement le cadre du récit, un épisode particulier dans la vie d’une famille de paysans habitant le sud des Etats-Unis au début du XXème siècle.

Je n’avais jamais eu l’occasion de lire Faulkner auparavant et je voulais profiter des vacances pour me plonger dans ce roman qui me tentait depuis un bon moment. Non seulement c’est chose faite, mais en je ne compte pas m’arrêter là.

Extraits

(les mentions figurant entre crochets ont été ajoutées pour une meilleure compréhension)

JEWEL

Si ça n’avait tenu qu’à moi quand Cash est tombé du haut de l’église et si ça n’avait tenu qu’à moi quand le père a reçu toute la  charretée de bois sur le dos, on ne verrait pas, aujourd’hui, tous les salauds du pays s’arrêter pour la dévisager, parce que s’il y a un Dieu à quoi foutre peut-il bien servir ?

* * *

DARL
[parlant de Cash, en train de fabriquer le cercueil de sa mère]

Il lève les yeux vers la face décharnée qu’encadre la fenêtre aux lueurs du crépuscule. C’est un tableau composé de tout le temps, depuis l’époque où il était encore enfant. Il laisse tomber la scie et, les yeux fixés sur la fenêtre où le visage n’a pas bougé, il soulève la planche pour qu’elle puisse la voir. Il tire une seconde planche et les ajuste ensemble dans leur position définitive. D’un geste il indique celles qui sont encore par terre et, par une pantomime de sa main droite, il montre quelle sera la forme du cercueil une fois fini.

* * *

DEWEY DELL

Il pourrait tant faire pour moi s’il le voulait. Il pourrait faire tout pour moi. C’est comme si, pour moi, tout ce qu’il y au monde se trouvait dans un baquet plein de boyaux, tellement qu’on se demande si autre chose de très important pourrait y trouver place. Lui, c’est un très grand baquet de boyaux, et moi je suis un petit baquet de boyaux, et s’il n’y a de place pour rien d’important dans un grand baquet de boyaux, comment pourrait-il y en avoir dans un petit baquet de boyaux? Mais je sais que c’est là, parce que Dieu a donné un signe aux femmes pour leur indiquer quand il leur est arrivé un malheur.

* * *

VARDAMAN

Ma mère est un poisson.

* * *

ANSE
[à propos de Jewel]

Je lui avais dit de ne pas amener ce cheval, par respect pour sa défunte mère, parce que ça n’a pas bonne façon de le voir caracoler ainsi sur ce sacré cheval de cirque, alors qu’elle voulait que nous soyons tous avec elle dans la charrette, tous ceux de sa chair et de son sang ; mais, nous n’avions pas plus tôt dépassé le chemin de Tull que Darl s’est mis à rire. Assis sur la banquette avec Cash, sa mère couchée sous ses pieds, dans son cercueil, il a eu l’effronterie de rire!

* * *

ADDIE BUNDREN

Et c’est pourquoi, quand Cora Tull venait me dire que je n’étais pas une vraie mère, je pensais combien les mots s’élèvent tout droits, en une ligne mince, rapides et anodins, alors que les actions rampent, terribles, sur la terre, s’y cramponnent, si bien qu’au bout d’un certain temps, les deux lignes sont trop éloignées l’une de l’autre pour qu’une même personne puisse les enfourcher. Je pensais que péché, amour, peur, tout cela n’était que des sons que les gens qui n’ont jamais péché, ni aimé, ni craint, emploient pour ce qu’ils n’ont jamais eu et ne pourront jamais avoir, à moins qu’ils n’oublient les mots. Comme Cora, qui n’a même jamais été capable de faire la cuisine.

Share

La Reine des lectrices – Alan Bennett

Traduit de l’anglais par Pierre Ménard
ISBN : 978-2207260128
Titre original : The Uncommon Reader

Présentation de l’éditeur :
Que se passerait-il outre-Manche si, par le plus grand des hasards, Sa Majesté la Reine se découvrait une passion pour la lecture ? Si, tout d’un coup, plus rien n’arrêtait son insatiable soif de livres, au point qu’elle en vienne à négliger ses engagements royaux ? C’est à cette drôle de fiction que nous invite Alan Bennett, le plus grinçant des comiques anglais. Henry James, les sœurs Brontë, le sulfureux Jean Genet et bien d’autres défilent sous l’œil implacable d’Elizabeth, cependant que le monde empesé et so british de Buckingham Palace s’inquiète : du valet de chambre au prince Philip, d’aucuns grincent des dents tandis que la royale passion littéraire met sens dessus dessous l’implacable protocole de la maison Windsor. C’est en maître de l’humour décalé qu’Alain Bennett a concocté cette joyeuse farce qui, par-delà la drôlerie, est aussi une belle réflexion sur le pouvoir subversif de la lecture.

Mon avis :
Court roman, La Reine des lectrices se lit d’une traite, porté par une narration impeccablement calibrée où chaque mot se fait l’écho du précédent et où le résultat est un humour typiquement anglais, fin et caustique. Le personnage principal ce n’est pas la reine d’Angleterre, ni même ce protocole stricte et ses gardiens qui se trouvent généreusement égratignés, non plus que les livres. Le véritable personnage central, l’héroïne ici, c’est la Littérature, cette maîtresse glaciale qui allume en nous un feu dévorant, une passion inextinguible et que l’on ne cherche plus qu’à assouvir, à n’importe quel prix. La trame, c’est-à-dire Sa Majesté qui découvre accidentellement la littérature, rencontre qui, à un cheveu près, a failli avorter, puis cette relation qui se noue, de plus en plus importante, au mépris des avis de son entourage, au mépris de tous ses devoirs, cette relation qui la transforme et de manière ô combien profonde -vous vous en rendrez compte seulement dans les dernières lignes- est semblable à celle de beaucoup d’histoires d’amour, de passions dévastatrices.
Véritable nid de suggestions de lectures -de Virginia Woolf à Andy McNab en passant par Ivy Compton-Burnett, Vikhram Seth, Ian McEwan, Ted Hughes ou encore Marcel Proust…- La Reine des lectrices n’est peut-être pas le livre du siècle d’un point de vue  strictement littéraire, mais c’est certainement un petit-chef d’oeuvre d’humour, et il possède une qualité essentielle : il donne envie de lire, de découvrir. Sa lecture très facile et agréable ne fait que renforcer ses atouts. Peut-être s’avérera t-il d’un précieux secours pour tous ceux qui rêvent de faire partager les innombrables plaisirs du texte à ceux qui ne voient en la lecture qu’un pensum appartenant au monde scolaire.

Pour la petite anecdote, la titre original The Uncommon Reader est très vraisemblablement une allusion à un essai de Virginia Woolf intitulé The Common Reader (Le Commun des lecteurs en français), essai constitué d’articles sur la littérature.

Share

Feuilles (Leaves) – Lucy Caldwell

ISBN : 978-2-84260-273-4
Traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Séverine Magois
Editions Théatrales

Résumé (quatrième de couverture) :
La jeune Lori est de retour parmi les siens, à Belfast, après un premier trimestre dans une faculté londonienne où elle a tenté de mettre fin à ses jours.
Ses parents et ses deux sœurs ne savent ni ne comprennent ce qui s’est passé au juste. Dans ce drame noué à l’ombre du conflit irlandais, le père et la mère, démunis, essaient de démêler l’écheveau de cet échec. Les trois sœurs s’efforcent quant à elles de définir ce qu’elles sont devenues les unes pour les autres au sortir de l’enfance. Lucy Caldwell aborde avec délicatesse la question du suicide des adolescents et nous offre des personnages particulièrement attachants.
Elle ausculte les relations familiales avec subtilité à travers une écriture faussement ordinaire, précise et rythmée, souvent teintée d’humour.

Les personnages :

La famille Murdoch
David, proche de la cinquantaine
Phyllis, proche de la cinquantaine
Lori, dix-neuf ans
Clover, quinze ans
Poppy, onze ans

Cadre
Belfast, de nos jours

Mon avis :
Mes dernières lectures de pièces de théatre remontent à plusieurs années, quand j’étais encore au lycée. Une étude de la pièce de Dürenmatt, La visite de la vieille dame, en français et dans sa version originale en allemand (Der Besuch der Alten Dame pour les curieux). Depuis, plus rien, jusqu’à Feuilles, sous-titré Leaves, pour des raisons de traduction comme le précise une petite note : la traduction en français est incomplète et ne rend pas la polysémie du titre anglais. Leaves signifie feuilles, mais également partir.

D’autres indications figurent, notamment concernant l’emploi des différents tirets utilisés
( / pour indiquer qu’un personnage prend la parole avant qu’un autre ait fini de parler ; pour indiquer que la tension produite par la réplique doit être maintenue ) Ces indications ne sont pas utiles que pour les personnes désirant jouer cette pièce, elles sont utiles pour une lecture vivante de la pièce, rendant palpable les tensions et les difficultés qu’éprouvent les protagonnistes à communiquer.

Les didascalies sont très précises en ce qui concerne le décor et sa description, on visualise parfaitement les pièces, à la fois comme si c’était la réalité ou un film mais on parvient aussi à l’imaginer en train d’être jouer sur scène. Ce dernier point peut paraître paradoxale, mais souvent en lisant du théatre, il est facile de se représenter l’action exactement comme on le ferait pour un roman, et dans certains cas, en le voyant effectivement la pièce jouée sur scène, on est déçu, l’action semble plus artificielle, moins aisée, moins naturelle que prévu.

La quatrième de couverture décrit très bien le style de Lucy Caldwell (née en 1981 à Belfast, Leaves est sa première pièce longue) : faussement simpliste. Une simplicité qui n’est qu’apparente et utilise des phrases quotidiennes pour amener des questions plus métaphysiques de manière ordinaire, naturelle, pas comme un livre de philosophie le ferait mais tout à fait comme le ferait une personne au cours d’une conversation sur la vie, avec toutes les questions, les doutes et les angoisses que ces questionnements recèlent tout au long de la vie et à l’adolescence de manière plus particulière. Les disputes entre les trois soeurs que l’on sent poindre puis éclater sur la page, de manière larvée sans que l’on comprenne vraiment comment elles en sont arrivées là, les silences lourds et maladroits entre Lori et sa mère, Lori et son père, les repas à la table familiale, tout ces petits riens, ces tensions familiales que l’on touche tous -sauf quelques rares cas- du doigt un jour ou l’autre, forment, avec les grandes questions existentielles, le point central de Leaves.

La question du suicide est traitée de manière délicate, presque sans avoir l’air d’y toucher et justement mise en avant par cette délicatesse, cette humanité, cette incompréhension qui voisine avec le besoin désespéré de comprendre le geste de Lori et la difficulté de l’intégrer à l’histoire familiale, sans en faire un tabou ni l’effacer de la mémoire.

Pour ceux à qui la question du conflit nord-irlandais ferait peur, vous n’avez aucune inquiétude à craindre, c’est un calque, un cadre lointain dont la connaissance permet certes de comprendre toutes les subtilités de certaines répliques, mais si vous n’y connaissez rien, vous ne serez pas non plus totalement amputé.

Leaves m’a, en tout cas, redonné envie de lire du théatre.

Share

84, Charing Cross Road – Helene Hanff

Editions Autrement, 2001
ISBN-13: 978-2746700581
Traduit par Marie-Anne de Kisch

84_crossRésumé :
84, Charing Cross Road est le recueil des lettres que s’échangèrent Helene Hanff, scénariste sans le sou mais passionnée de littérature et le personnel de la librairie Marks & Co. (dont l’adresse a donné son nom à recueil). La correspondance s’étale sur une vingtaine d’années, d’octobre 1949 à octobre 1969.

C’est à la suite d’une petite annonce passée dans un journal (le Saturday Review of Litterature pour être précise) qu’Helene, à la recherche de certains livres épuisés, leur adresse une première lettre.
Les premiers échanges sont relativement conventionnels, mais très vite, la spontanéité et la gentillesse d’Helene ont raison de cette raideur professionnelle : le ton devient très vite amical, et de plus en plus intime, jusqu’à cette sorte de complicité tendre, presque d’amour qu’on entre eux les gens partageant la même passion (et la littérature est une maîtresse exigeante). Apprenant qu’au Royaume-Unis, les tickets de rationnements ont toujours court, Helene décide de faire parvenir de la nourriture au personnel de la librairie, mais aussi à leurs familles.

Des liens se tissent peu à peu entre elle et Franck Doel, mais aussi avec Nora, la femme de Franck, Cecily et d’autres employés de la librairie qui prennent eux aussi parfois la plume pour lui répondre. Le ton est très libre, vif, plein d’humour, de charme et de littérature. Car c’est avant tout des livres dont il est question. Editions rares et introuvables, erreur de commande…

Mon avis :
Magnifique et profondément humain. Un véritable petit bijou de la « littérature » épistolaire, si l’on peut dire, puisqu’il ne s’agit pas d’une correspondance fictive mais réelle (bien que toutes les lettres n’aient pas été publiées). 84, Charing Cross Road est un livre très émouvant à lire, véritable reflet des relations privilégiées qui peuvent se nouer entre amoureux des livres et de la littérature. Si les auteurs et les ouvrages auxquels il est fait référence sont principalement anglo-saxon, le ton très vivant et passionné des lettres ne peuvent laisser aucun amoureux des livres et de la littérature totalement insensible. Les notes de la traductrice apportent des précisions sur les auteurs et les titres auxquels il est fait référence, il n’y a donc aucune inquiétude à avoir si après Shakespeare, vous êtes perdus.

Aucune mièvrerie, aucune sensibilité inutile ni de happy end : Helene Hanff est morte dans la misère, à l’âge de 80 ans. Il y a évidemment d’autres raisons qui me poussent à employer ces mots, mais je n’en dis pas plus.

84, Charing Cross Road a été adapté en film en 1987 avec Anne Bancroft et Anthony Hopkins dans les rôles d’Helene et de Franck.

Share

L’Eau et les Rêves – Gaston Bachelard

Essai sur l’imagination de la matière
L’Eau et les rêves
a été publié pour la première fois en 1942.

Table des matières et (brève) présentation de l’œuvre

Introduction : Une présentation de la thématique abordée dans l’Eau et les Rêves : les forces imaginantes de l’esprit. Plan de l’étude.

I- Les eaux claires, les eaux printanières et les eaux courantes. Les conditions objectives du narcissisme. Les eaux amoureuses. Les images changeantes de l’eau, les reflets, les miroirs, la dualité du Narcissisme et de la contemplation. La psychologie de l’eau claire : la fraîcheur, la sensualité, la sexualité de l’eau, sa nature essentiellement féminine. Le complexe de culture et le complexe du cygne.

II- Les eaux profondes – Les eaux dormantes – les eaux mortes. « L’eau lourde » dans la rêverie d’Edgar Poe. L’eau qui s’alourdit, qui va dans le sens de la mort, la mort comme partie intégrante de l’eau. L’eau et le ciel renversé. Le destin de l’eau qui se charge des douleurs humaines.

III- Le complexe de Caron. Le complexe d’Ophélie. L’eau substance de vie, substance de mort. La mort et le voyage sur l’eau. Les eaux maternelles et le ré-enfantement. Les enfants maléfiques rendus aux flots. La barque de Caron, le passeur et gardien.
Le suicide en littérature, l’imagination et la mise en scène de la mort. L’eau comme élément de la mort « jeune et belle », l’élément féminin et mélancolique. Les larmes.

IV- Les eaux composées. Jeux de combinaisons de l’eau avec les autres éléments. Chimie du poète. Association binaire mais jamais ternaire. L’eau et le feu : mariage impossible et détonnant, pourtant exceptionnellement fécond. L’eau et la nuit, la peur. L’eau et la terre.

V- L’eau maternelle et l’eau féminine. Le symbolisme maternel de l’eau. Le lait et l’eau : l’eau fécondante et nourricière pour l’imagination. L’eau comme aspect de la mère mais aussi comme épouse et amante. Le voyage imaginaire.

VI- Pureté et purification. La morale de l’eau. L’eau symbole de pureté naturelle. Eau lustrale. Les eaux polluées et la nature de l’inconscient. L’eau amère, impure, mauvaise. Eau jaillissante, source de vie et de pureté. La loi morale de l’imagination et le double axe d’imagination. La fontaine de Jouvence.

VII- La suprématie de l’eau douce. Mythologie de la mer et inconscient maritime. Suprématie de l’eau terrestre sur l’eau marine. Poséidon. L’eau douce et la fraîcheur, la désaltération de l’inconscient.

VIII- L’eau violente. Le complexe du nageur, le complexe de Swinburne, le complexe de Xerxès. Le saut initiatique dans l’inconnu. L’imagination dynamique. Les rêveries ambivalentes et la colère de l’océan. L’eau et l’excitation coléreuse.

Conclusion : La parole de l’eau. L’eau associée naturellement à la communication, au langage. La parole de l’eau. La fluidité de la poésie, le son, les rires et les onomatopées des eaux. L’écoute des voix de l’eau.

Photo personnelle prise dans les Highlands, 2001.
N&B argentique, non retouchée.
Ne pas reproduire, merci.

Mon avis :
Rien que le titre de cette rubrique « mon avis » me semble ici assez prétentieuse. Comment mon avis -celui d’une jeune femme du XXIe siècle, même pas particulièrement intelligente, même pas particulièrement cultivée- pourrait avoir un impact quelconque ? A mon sens, ce que je vais en dire n’apportera rien de nouveau ou de notoire, mais à défaut de cela, je vais tâcher d’expliquer ce que j’ai pu tirer de cette lecture, ce que j’en ai compris.

Comme je l’avais déjà précisé en rédigeant ma chronique de l’essai sur le charme, la philosophie m’impressionne et je suis démunie quand il s’agit d’en parler. C’est handicapant quand on se trouve en présence de gens qui sont soit infiniment plus cultivés et fins que vous, soit qui ne voient pas quel bénéfice vous pouvez tirer de vos lectures, et qui vous le font savoir dans des termes plus ou moins abruptes.

J’en suis venue à la lecture de Bachelard de manière assez soudaine. Le nom ne m’était pas inconnu, non plus que le titre de ce livre, mais il n’y avait pas eu vraiment de déclic, jusqu’à la lecture du livre sur le charme, justement, où il est fait référence à son œuvre. Une rapide promenade sur internet (biographie, extraits) m’a donné envie de le lire.

Contrairement à d’autres philosophe (comme Nietzsche ou Bergson), je trouve Bachelard complètement limpide, si vous me passez l’expression. Son écriture confine à la poésie et il a une façon de mettre en image les concepts qui est unique en son genre. J’aurai envie de dire qu’il ne se contente pas de réfléchir sur la matière de l’imagination, mais par une sorte de mise en abîme, il l’imagine en même temps qu’il en parle. J’aurai bien du mal à dire comment je le comprend, dans ce sens où à moins de faire de la paraphrase, il m’est très délicat de restituer sa façon de considérer le pouvoir de l’eau et son symbolisme dans l’imagination, à part peut-être, en disant que je comprend cet essai davantage de manière empirique que de manière intellectuelle (bien que l’intellect ne soit pas non plus totalement absent). Lisant L’Eau et les rêves, je ne pouvais m’empêcher de faire le lien, non seulement avec toutes sortes de souvenirs personnels mais aussi à d’autres écrivains, d’autres poètes, d’autres textes. Parmi tous les noms qui me sont venus à l’esprit, je n’en citerai que trois. Virginia Woolf d’abord, et notamment son roman Les Vagues. Keats ensuite, principalement en raison de son épitaphe : Here lies one whose name was writ in water. (Ci-gît celui dont le nom était écrit sur l’eau) et enfin, à un chant mortuaire roumain, où il est question d’un psychopompe qui accompagne l’âme du défunt et l’empêche de se perdre. Dans ce texte, il est question des eaux de mort. Un autre parallèle qui m’est venu à l’esprit est celui avec les mizuko (littéralement « enfant de l’eau » ou « enfant qui a coulé » en japonais), nom que l’on donne aux fœtus morts ou avortés.

L’Eau et les rêves s’est avéré être une lecture profondément murmurante, dont je ressors avec l’envie de lire -ou à défaut d’essayer- ses autres ouvrages, comme l’Air et les songes, par exemple.