Le Livraire

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Archives de Tag: Rêves

La Reine et le Fou (extrait) – W.B Yeats

Que peut-être la mort sinon le début de la sagesse, du pouvoir et de la beauté ? et la folie peut-être une sorte de mort. A mon avis il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un grand nombre de gens voient « dans chaque foyer des fées » un fou avec un vase brillant plein de sortilèges, de sagesse ou de rêves trop puissants pour l’esprit des mortels. Il est naturel aussi qu’il y ait une reine dans chacun de leurs foyers, et qu’on entende peu parler de leurs rois, car les femmes atteignent plus facilement que les hommes à cette sagesse que les  peuples antiques, et tous les peuples sauvages  de nos jours encore, croient être la seule sagesse. Le moi, qui est la base de notre savoir, est brisé en morceaux par la folie, et oublié  dans les émotions soudaines des femmes ; donc les fous peuvent avoir -et les femmes ont certainement- des aperçus d’une grande part de ce que la sainteté trouve au terme de son voyage douloureux. L’homme qui a vu le fou blanc a dit en parlant d’une certaine femme, qui n’était pas paysanne : « si j’avais sa capacité de vision, je connaîtrais toute la sagesse des dieux, et ses visions ne l’intéressent pas ». Et j’ai entendu parler d’une autre femme, qui elle non plus n’était pas paysanne ; pendant son sommeil elle partait dans des pays d’une beauté surnaturelle, et pourtant elle n’avait d’autre souci que de s’occuper de son foyer et de ses enfants ; et bientôt un guérisseur a prétendu la rétablir par des plantes. La sagesse, la beauté et le pouvoir peuvent parfois, à mon avis, venir à ceux meurent chaque jour qu’ils vivent, quoique leur mort puisse ne pas ressembler à celle dont parlait Shakespeare. Il y a une guerre entre les vivants et les morts, et les histoires irlandaises insistent toujours là-dessus. D’après elles quand les pommes de terre ou le blé de n’importe quels autres fruits de la terre se gâtent, ils mûrissent au pays des Fées ; nos rêves peuvent faire flétrir les arbres ; on entend le bêlement des agneaux du pays des Fées en novembre, et les yeux aveugles voient mieux que les autres. Puisque l’âme croit toujours à cela ou à des choses semblables, la cellule et le désert ne demeureront jamais longtemps vides, et tous les amants comprendront ces vers :

N’as-tu pas entendu ces douces paroles parmi
Ce choeur qui résonne dans les cieux ?
N’as-tu pas entendu que ceux qui meurent
Se réveillent dans un monde d’extase ?
Que l’amour, quand les membres sont entrelacés
Et le sommeil, quand la nuit de la vie est brisée,
Et la pensée accrochée aux troubles frontières du monde,
Et la musique, quand un être aimé chante,
C’est la mort ?

( In La Reine et le Fou, traduit par Caroline MacDonogh,
William Butler Yeats, Le Crépuscule Celtique, Presses Universitaires de Lille, 1982 )

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Territoire du rêve – Elsa Morante

Editions Arcades, Gallimard
ISBN : 978-2070731756

Traduit de l’italien et annoté par Jean-Noël Schifano

morante_reveRésumé (quatrième de couverture) :
Du 19 janvier au 30 juillet 1938, Elsa Morante a reporté ses rêves sur un cahier d’écolier. Dans son état cruel, tendre et émouvant, le manuscrit trouvé après la mort de son auteur est bien un journal intime à l’érotisme perlé, mais d’un genre plus unique que rare : il est fait de rêves, il n’est pas le fruit de veilles mais de sommeils, il n’est pas diurne mais nocturne… Une matière première qui est un document exception
nel, en soi d’abord, et puis en reflet viscéral de toute l’œuvre d’Elsa Morante, cette biographie à peine déguisée d’elle-même et de notre siècle.

Mon avis :
Territoire du rêve est un ouvrage complètement à part, si les récits de rêves sont une chose courante au sein des récits -autobiographiques ou fictionnels-, les ouvrages donnant au rêve une place centrale sont eux beaucoup plus rares.
La présentation qu’en fait le traducteur reflète exactement le contenu de ce livre. J’avais déjà eu l’occasion de lire Elsa Morante il y a quelques années, avec la Storia. Je pense que ceux qui connaissent déjà son œuvre, par des extraits, un roman ou des articles, apprécieront mieux Territoire du rêve que ceux qui seraient amenés à la découvrir par ce livre.

Les rêves sont plus ou moins étranges, violents ou érotiques (dans ce cas censurés par Elsa Morante avec des astérisques entre crochets, plus ou moins longues suivant l’allusion érotique, comme le signale le traducteur dans les annexes.) avec des archétypes qui se détachent nettement du reste : les figures féminines de la mère et de la sœur, le voyage, la religion, l’humiliation (ainsi qu’elle l’exprime elle-même).

Un journal assez hors du commun à lire, que je ne qualifierai pas de distrayant mais d’intrigant, une porte vers l’imagination brute et la psychée d’un auteur.

L’Eau et les Rêves – Gaston Bachelard

Essai sur l’imagination de la matière
L’Eau et les rêves
a été publié pour la première fois en 1942.

Table des matières et (brève) présentation de l’œuvre

Introduction : Une présentation de la thématique abordée dans l’Eau et les Rêves : les forces imaginantes de l’esprit. Plan de l’étude.

I- Les eaux claires, les eaux printanières et les eaux courantes. Les conditions objectives du narcissisme. Les eaux amoureuses. Les images changeantes de l’eau, les reflets, les miroirs, la dualité du Narcissisme et de la contemplation. La psychologie de l’eau claire : la fraîcheur, la sensualité, la sexualité de l’eau, sa nature essentiellement féminine. Le complexe de culture et le complexe du cygne.

II- Les eaux profondes – Les eaux dormantes – les eaux mortes. « L’eau lourde » dans la rêverie d’Edgar Poe. L’eau qui s’alourdit, qui va dans le sens de la mort, la mort comme partie intégrante de l’eau. L’eau et le ciel renversé. Le destin de l’eau qui se charge des douleurs humaines.

III- Le complexe de Caron. Le complexe d’Ophélie. L’eau substance de vie, substance de mort. La mort et le voyage sur l’eau. Les eaux maternelles et le ré-enfantement. Les enfants maléfiques rendus aux flots. La barque de Caron, le passeur et gardien.
Le suicide en littérature, l’imagination et la mise en scène de la mort. L’eau comme élément de la mort « jeune et belle », l’élément féminin et mélancolique. Les larmes.

IV- Les eaux composées. Jeux de combinaisons de l’eau avec les autres éléments. Chimie du poète. Association binaire mais jamais ternaire. L’eau et le feu : mariage impossible et détonnant, pourtant exceptionnellement fécond. L’eau et la nuit, la peur. L’eau et la terre.

V- L’eau maternelle et l’eau féminine. Le symbolisme maternel de l’eau. Le lait et l’eau : l’eau fécondante et nourricière pour l’imagination. L’eau comme aspect de la mère mais aussi comme épouse et amante. Le voyage imaginaire.

VI- Pureté et purification. La morale de l’eau. L’eau symbole de pureté naturelle. Eau lustrale. Les eaux polluées et la nature de l’inconscient. L’eau amère, impure, mauvaise. Eau jaillissante, source de vie et de pureté. La loi morale de l’imagination et le double axe d’imagination. La fontaine de Jouvence.

VII- La suprématie de l’eau douce. Mythologie de la mer et inconscient maritime. Suprématie de l’eau terrestre sur l’eau marine. Poséidon. L’eau douce et la fraîcheur, la désaltération de l’inconscient.

VIII- L’eau violente. Le complexe du nageur, le complexe de Swinburne, le complexe de Xerxès. Le saut initiatique dans l’inconnu. L’imagination dynamique. Les rêveries ambivalentes et la colère de l’océan. L’eau et l’excitation coléreuse.

Conclusion : La parole de l’eau. L’eau associée naturellement à la communication, au langage. La parole de l’eau. La fluidité de la poésie, le son, les rires et les onomatopées des eaux. L’écoute des voix de l’eau.

Photo personnelle prise dans les Highlands, 2001.
N&B argentique, non retouchée.
Ne pas reproduire, merci.

Mon avis :
Rien que le titre de cette rubrique « mon avis » me semble ici assez prétentieuse. Comment mon avis -celui d’une jeune femme du XXIe siècle, même pas particulièrement intelligente, même pas particulièrement cultivée- pourrait avoir un impact quelconque ? A mon sens, ce que je vais en dire n’apportera rien de nouveau ou de notoire, mais à défaut de cela, je vais tâcher d’expliquer ce que j’ai pu tirer de cette lecture, ce que j’en ai compris.

Comme je l’avais déjà précisé en rédigeant ma chronique de l’essai sur le charme, la philosophie m’impressionne et je suis démunie quand il s’agit d’en parler. C’est handicapant quand on se trouve en présence de gens qui sont soit infiniment plus cultivés et fins que vous, soit qui ne voient pas quel bénéfice vous pouvez tirer de vos lectures, et qui vous le font savoir dans des termes plus ou moins abruptes.

J’en suis venue à la lecture de Bachelard de manière assez soudaine. Le nom ne m’était pas inconnu, non plus que le titre de ce livre, mais il n’y avait pas eu vraiment de déclic, jusqu’à la lecture du livre sur le charme, justement, où il est fait référence à son œuvre. Une rapide promenade sur internet (biographie, extraits) m’a donné envie de le lire.

Contrairement à d’autres philosophe (comme Nietzsche ou Bergson), je trouve Bachelard complètement limpide, si vous me passez l’expression. Son écriture confine à la poésie et il a une façon de mettre en image les concepts qui est unique en son genre. J’aurai envie de dire qu’il ne se contente pas de réfléchir sur la matière de l’imagination, mais par une sorte de mise en abîme, il l’imagine en même temps qu’il en parle. J’aurai bien du mal à dire comment je le comprend, dans ce sens où à moins de faire de la paraphrase, il m’est très délicat de restituer sa façon de considérer le pouvoir de l’eau et son symbolisme dans l’imagination, à part peut-être, en disant que je comprend cet essai davantage de manière empirique que de manière intellectuelle (bien que l’intellect ne soit pas non plus totalement absent). Lisant L’Eau et les rêves, je ne pouvais m’empêcher de faire le lien, non seulement avec toutes sortes de souvenirs personnels mais aussi à d’autres écrivains, d’autres poètes, d’autres textes. Parmi tous les noms qui me sont venus à l’esprit, je n’en citerai que trois. Virginia Woolf d’abord, et notamment son roman Les Vagues. Keats ensuite, principalement en raison de son épitaphe : Here lies one whose name was writ in water. (Ci-gît celui dont le nom était écrit sur l’eau) et enfin, à un chant mortuaire roumain, où il est question d’un psychopompe qui accompagne l’âme du défunt et l’empêche de se perdre. Dans ce texte, il est question des eaux de mort. Un autre parallèle qui m’est venu à l’esprit est celui avec les mizuko (littéralement « enfant de l’eau » ou « enfant qui a coulé » en japonais), nom que l’on donne aux fœtus morts ou avortés.

L’Eau et les rêves s’est avéré être une lecture profondément murmurante, dont je ressors avec l’envie de lire -ou à défaut d’essayer- ses autres ouvrages, comme l’Air et les songes, par exemple.

L’Eau et les rêves – extrait

L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écoule. La mort quotidienne n’est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches; la mort quotidienne est la mort de l’eau. L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. Dans d’innombrables exemples nous verrons que pour l’imagination matérialisante la mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la  terre : la peine de l’eau est infinie.

L’Eau et les rêves, Gaston Bachelard, livre de poche, page 13

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Rêves Dangereux – Edith Södergran

    Ne t’approche pas trop de tes rêves :
    Ce sont fumée qui peut se disperser –
    Ils sont dangereux et peuvent demeurer.

    As-tu regardé tes rêves dans les yeux :
    ils sont malades et ne comprennent rien –
    Ils n’ont que leurs propres pensées.

    Ne t’approche pas trop de tes rêves :
    Ce sont mensonges, ils devraient s’en aller –
    Ce sont folie qui veut rester.

tiré du livre : Poèmes complets, Edith Södergran, éd. Pierre Jean Oswald, trad. Régis Boyer, 1973
page 62