Le Livraire

Carnet de lecture

Archives de Tag: Littérature anglaise

Un bûcher sous la neige – Susan Fletcher

Plon
Traduit de l’anglais par Suzanne Mayoux
ISBN : 978-2-2592-114-13
Titre original : Corrag (republié sous le titre Witch light)

Résumé (quatrième de couverture) :
Au cœur de l’Écosse du XVIIe siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher. Dans le clair-obscur d’une prison putride le Révérend Charles Leslie, venu d’Irlande espionner l’ennemi, l’interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Mais, depuis sa geôle, la voix de Corrag s’élève au-dessus des légendes de sorcières, par-delà ses haillons et sa tignasse sauvage. Peu à peu, la créature maudite s’efface; du coin de sa cellule émane une lumière, une sorte de grâce pure. Et lorsque le révérend retourne à sa table de travail, les lettres qu’il brûle d’écrire sont pour sa femme Jane, non pour son roi. Chaque soir, ce récit continue, Charles suit Corrag à travers les Highlands enneigés, sous les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse des heures de chevauchée solitaire. Chaque soir, à travers ses lettres, il se rapproche de Corrag, la comprend, la regarde enfin et voit que son péché est son innocence et le bûcher qui l’attend le supplice d’un agneau.

Mon avis :
Un bûcher sous la neige se déroule dans les Highlands, au XVIIe siècle, dans un contexte historique bien particulier.
L’histoire se passe un an et demi après que le protestant Guillaume II d’Orange ait écrasé le catholique Jacques II à la bataille de la Boyne, le 12 juillet 1690 (victoire toujours commémorée par l’Ordre d’Orange, en Irlande du Nord mais aussi dans certains endroits d’Écosse) écartant ainsi tout espoir pour Jacques de remonter sur le trône.

Le massacre de Glencoe dont il est question dans le roman a eu lieu, le 13 février 1692, aux premières lueurs de l’aube (je ne souhaite pas en dire plus pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture). C’est de ce drame historique que s’inspire Susan Fletcher pour écrire l’histoire de la jeune Corrag, emprisonnée dans une geôle et attendant son exécution, quand survient le Révérend Charles Leslie.

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Chanson – John Donne

Va saisir une étoile filante,
Engrosser une mandragore ;
Dis-moi où sont les ans passés,
Qui du Diable a fendu le pied ;
Fais-moi ouïr le chant des Sirènes
Éviter les traits de l’envie,
Et apprends-moi
Quel vent propice
Fait avancer un homme honnête.

Si tu es né pour l’insolite,
Pour voir des choses invisibles,
Dix mille jours et nuits chevauche
Et que l’âge enneige ta tête ;
A ton retour tu me diras
Rares merveilles rencontrées
Et jureras
Que nulle part
N’existe femme belle et fidèle.

S’il en est une, fais m’en-part :
Ce serait doux pèlerinage ;
Mais non, tais-le, je n’irais point,
Même à la porte d’à côté ;
Fidèle à l’heure où tu la vis
Et le temps d’écrire ta lettre,
Cependant elle
En trahira
D’ici que j’arrive, deux ou trois.

Song

Goe, and catche a falling starre,
Get with child a mandrake roote,
Tell me, where all past years are,
Or who cleft the Divels foot,
Teach me to heare Mermaids singing,
Or to keep off envies stinging,
And finde
What winde
Serves to advance an honest minde.

If thou beest borne to strange sights,
Things invisible to see,
Ride then thousand daies and nights,
Till age snow white haires on thee,
Thou, when thou retorn’st, wilt tell mee
All strange wonders that befell thee,
And sweare
No where
Lives a woman true, and faire.

If thou findest one, let mee know,
Such a Pilgrimage were sweet ;
Yet doe not, I would not goe,
Though at next doore wee might meet,
Though shee were true, when you met her,
And last, till you write your letter,
Yet shee
Will bee
Falfe, ere I come, to two, or three.

John Donne (1572-1631), Poésie, Imprimerie Nationale, édition bilingue de Robert Ellrodt

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Le Renard – D.H. Lawrence

Editions Sillage
Traduit de l’anglais par Paul Jimenes
Titre original : The Fox
ISBN : 978-2-916266-56-5

Le renard - Lawrence Auparavant disponible chez Stock, cette nouvelle édition est l’œuvre de la petite maison Sillage, qui réédite (et éventuellement retraduit) des textes classiques épuisés.

David Herbert Lawrence, écrivain anglais né en 1885 et mort en 1930, a connu la notoriété et le scandale, notamment grâce – ou à cause – de son roman L’amant de Lady Chatterley (écrit en 1927), frappé par la censure et dont la version non expurgée ne parut dans les pays anglo-saxons que dans les années 60.

En Angleterre, au début du XXe siècle, deux jeunes femmes vivotent dans la ferme qu’elles ont rachetée quand l’arrivée d’un jeune soldat va tout bouleverser, provoquant une rivalité féroce et sans merci.

Banford et March – elles sont désignées pratiquement tout le temps par leurs noms de famille – sont deux jeunes femmes âgées d’une trentaine d’années. Elles vivent seules dans cette ferme où elles avaient projeté d’élever des animaux et de se consacrer à des occupations diverses et variées. Loin d’être une réussite, elles peinent à maintenir le semblant d’exploitation à flots. Ainsi, une entreprise en apparence aussi évidente qu’un élevage de poules est un échec, notamment en raison de la présence d’un renard.
Cette simple introduction résume subtilement le cadre, celui d’une nature qui, loin d’être bucolique, est menaçante et hostile pour Banford et March, dont les descriptions respectives ne font qu’accentuer cette impression de vulnérabilité, de proie. Elles sont dominées par leur environnement bien plus qu’elles ne le contrôlent.
Arrive Henry Grenfel, un jeune soldat venu retrouver son grand-père, à qui les jeunes femmes offrent l’hospitalité. C’est alors un parallèle évident, et clairement exprimé dans la narration, qui se dessine entre le renard voleur de poules et Henry, qui a jeté son dévolu sur March, décidant qu’elle sera sienne.

Toute la tension repose à la fois sur les contradictions de leurs volontés respectives et sur ce double niveau de représentation, à la fois humain et animal. Le désir est omniprésent, animal et menaçant, une lutte plus qu’un jeu, une pulsion ravageuse plus qu’une émotion intellectuelle. L’expression de l’érotisme est d’une troublante justesse, aux antipodes des descriptions banales comme on en rencontre communément. Il est d’autant plus présent qu’il est sous-jacent, quoique la métaphore filée du fusil soit une évidence criante, l’image de danger est ici bel et bien réelle. La traque finira cruellement causant d’irréparables dommages.

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Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar – John Keats

« Étincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »

Étincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,
Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution  purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes —
Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,
Éveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours — ou bien m’évanouir dans la mort.

« Bright star ! would I were steadfast as thou art »

Bright star ! would I were steadfast as thou art —
Not in lone splendour hung aloft the night
And watching, with eternal lids apart,
Like nature’s patient, sleepless Eremite,
The moving waters at their priestlike task
Of pure ablution round earth’s human shores,
Or gazing ont the new soft-fallen mask
Of snow upon the moutains and the moors —
No — yet still steadfast, still unchangeable,
Pillowed upon my fair love’s ripening breast,
To feel for ever its soft swell and fall,
Awake for ever in a sweet unrest,
Still, still to heart her tender-taken breath,
And so live ever — or else swoon to death.

(Note du traducteur : Longtemps tenu pour le dernier poème de Keats, écrit le 29 septembre 1820 où il le copia en marge de l’exemplaire de Shakespeare de son compagnon de voyage en Italie, Joseph Severn. La découverte de la transcription d’une version antérieure datée de 1819 rend cette date impossible. Mais qu’importe !)

John Keats, Seul dans la splendeur, La Différence, 1990, traduit de l’anglais par Robert Davreu

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Le diable déguisé en belette – Sylvia Townsend Warner

Joëlle Losfeld
Traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch

Titre original : The Corner that Held Them
ISBN :
978-2-909-906-690

Le diable déguisé en belette

Le diable déguisé en belette (écrit en 1948) est un livre épuisé depuis un moment et qui, mis à part en bibliothèque, est complètement introuvable. C’est grâce à la gentillesse d’une personne m’ayant prêté son exemplaire que j’ai pu avoir la chance de le lire, souhaitant lire d’autres romans de Sylvia Townsend Warner après ma lecture très enthousiaste de Laura Willowes.

S’ouvrant par l’assassinat d’un amant et le meurtre d’une vieille servante dans la région du Norfolk, à la fin du XIIème siècle, ce roman est une œuvre prodigieuse. L’histoire proprement dite commence deux siècle plus tard, lorsque le Seigneur cocufié, Brian de Retteville, fait construire le couvent d’Oby en mémoire de sa femme Alianor, lieu où se déroule la majeure partie de l’action.
Dés le départ, les difficultés surgissent, l’environnement est hostile, l’argent manque, la nourriture est rare et les bras ne se bousculent pas pour aider les nonnes. Plus tard, ce sera l’épidémie de peste, longue et meurtrière, et, poussée par l’épidémie, profitant d’une opportunité du destin -ou du diable- un dénommé Ralph se présente sous le visage d’un prêtre à Oby. Il n’en est cependant pas un, mais ses rudiments de latin et surtout la place vacante, lui permettent de donner le change.
Dieu est à la fois le grand prétexte et le grand absent de l’histoire. S’il est craint et continuellement évoqué, la foi pure, le mysticisme est radicalement oublié de tous. Les évêques sont là pour faire appliquer les dogmes et régler les querelles financières, les nonnes se chamaillent, se font la guerre pour des prétextes stériles, obnubilées par les questions matérielles, par l’égo, et les bruits du siècle quand elles sont censées vivre hors de ce monde auxquelles elles ont renoncées -mais rarement par choix. La plupart sont données à l’Église par leurs familles, envoyées par des couvents comptant des pensionnaires en surnombre, ou laissées pour compte dans une époque impitoyable. Le père Ralph n’est ni meilleurs ni pire qu’elles.  Au dehors, le monde est un vaste chaos de guerre, de pillage, de meurtre, de massacre.
Presque imperceptiblement, l’époque évolue. Le roman court sur une période allant de 1349 à 1382, et les religieuses se succèdent. Sœur Ursula et son fils bâtard élevé au couvent qui partira en volant le cheval et les épices, Sœur Susanna, écrasée par l’aiguille de la chapelle, la vieille Figg, veuve, pensionnaire au couvent et à l’occasion, compagne de lit du père Ralph, Sœur Adela, belle et stupide qui fera une chose terrible, Sœur Lovisa au visage ravagé par la scrofule qui finira en disgrâce malgré son intelligence.

C’est une fresque historique à l’ironie mordante, à la plume acérée et attentive que peint ici Sylvia Townsend Warner à travers une galerie de personnages aussi monstrueux que fascinant. C’est le quotidien âpre et les relents odieux des affaires humaines fixés par une écriture d’une extraordinaire et cruelle précision. Sans cesse, l’esprit des gens pourchasse ce Diable qu’ils semblent voir partout, le débusquant dans le rire d’une novice, dans une sucrerie ou dans ces nouveaux accords de musiques. Ce Diable qui, malgré ce que le titre laisse entendre, est aussi le grand absent du livre, contrairement à la folie et à la vacuité des hommes qui ruine impitoyablement la moindre entreprise.

Musicienne et écrivain, Sylvia Townsend Warner (1893-1978) fut membre du parti communiste à la fin des années 30, et journaliste dans l’Espagne républicaine. Ses premiers poèmes furent admirés par Yeats et certains la comparèrent à Thomas Hardy; elle-même fut influencée par T.F. Powys et par David Garnett. Son premier roman, [Laura Willowes] fut publié en 1926.

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